La vie SDF au Luxembourg

Le respect des autres – des exemples diamétralement opposés.

Il est insensé de respecter ceux, qui ne respectent pas les autres
Je me demande souvent ce que pensent les touristes, venant de pays civilisés, quand ils visitent le Grand-duché de Luxembourg. Du bruit et de la musique partout, des jeunes du monde entier qui traînent dans la rue avec leurs bouteilles, souvent hurlant comme des dingues ou insultant les passants, des gens de tout âge et de toute situation sociale qui te bousculent sans dire pardon, des chauffeurs de bus qui, durant tout le trajet, causent dans leur GSM, des vendeurs et vendeuses dans les magasins et super-marchés qui ne disent ni bonjour, ni au-revoir, ni s’il-vous-plaît, ni merci. Cela me donne un peu l’impression que ces petits mots et le comportement qui y est associé, considérés comme normaux autrefois, ont été rangés dans une vieille boîte portant une étiquette qui indique que sont des choses démodées, obsolètes, pour lesquelles il n’y a pas de place dans cette société hyper-moderne du 21e siècle. De ce point de vue, mon article concernant la dignité dans les centres sociaux n’est pas vraiment sensé; ce n’est pas un problème lié à la Caritas ou aux SDF, mais une réalité se faisant remarquer dans l’ensemble de la société dans ce pays (et je suppose que chez nos voisins, ce n’est pas beaucoup mieux).
L’arrivée au pays de ces jeunes qui n’ont absolument aucune notion de respect ni devant les gens, ni devant leurs affaires, pour qui voler, casser et taper est tout aussi normal que c’était anormal dans ce pays durant mon enfance et ma jeunesse, la ville de Luxembourg est devenue indigeste et dangereuse. Après avoir été brutalement tapé du pied dans la figure pour que je leur dise le mot-de-passe du laptop qu’ils m’avaient volé, je décidais d’abandonner 'ma place' devant la bijouterie sur la place d’Armes et de m’enfuir vers le nord. J’y ai trouvé un monde tout à fait différent! Bien-sûr, ces vieilles gens plein de mauvaise humeur, de jalousie et de préjugés y existent aussi. Et cela arrive d’y rencontrer de ceux, qui vivent ici grâce aux impôts que nous avons payés, qui me regardent de la même manière, avec tout le mépris et toute la haine qui existe au monde, qu’en ville. Mais globalement, ceux qui vivent ici ou juste y passent ont conservé beaucoup de ce que les gens étaient autrefois. «Si tu laisses les gens tranquilles, ils te laissent tranquille», on m’a dit. «Vivre et laisser vivre», on pourrait aussi l’appeler. Et au lieu d’observer ces robots sans âme courir derrière l’argent ou faire du shopping dans les boutiques de luxe, ici on rencontre plein d’êtres humains qui te souhaitent la bonne journée, même s’ils ne t’ont jamais vu auparavant.
Deux "groupes de gens" ont attiré mon attention dès le début. D’abord les portugais. Plutôt nombreux ici aussi, leur manière de se comporter et plus encore leur manière de voir la vie et les gens me semble très différent de ce que j’ai vécu dans la capitale. C’est plus que rare de voir des BMW et Audi foncer à toute vitesse et avec la musique mis à fond. Et au lieu de crier comme si tout le monde serait sourd, ils parlent à volume normal en téléphonant, ne sont guère plus bruyant en discutant que les luxembourgeois, belges ou allemands. Point de vue préjugés, la différence est plus étonnante encore. À Luxembourg, surtout dans des quartiers comme Bonnevoie, beaucoup de portugais n’ont pas seulement une vue extrêmement négative des sans-abri, mais les méprisent ou carrément les haïssent. Il m’est plusieurs fois arrivé qu’en voulant entrer dans un café ou un snack, on me criait de faire demi-tour avant même que j’eusse entièrement ouvert la porte. Le propriétaire du café en face du foyer Ulysse (à l’endroit où il y a actuellement le Courage), m’a une fois agressé quand je dormais sur le parvis de la maison voisine; une autre fois, il a jeté de l’eau sur moi et cela en plein hiver. Des insultes par des jeunes et des boules de neige jetées en pleine figure par des enfants sont d’autres tristes souvenirs. Ici, il semble que c’est justement le contraire. Je ne suis jamais été insulté, dans les magasins et restaurants on m'a toujours traité comme tout le monde, on m’a invité de me mettre plus près du chauffage, m’a offert du café ou de la bouffe gratuitement. Et parmi ceux qui me visitent régulièrement (et c’est notamment le cas de mes 2 plus généreux donateurs), les portugais constituent un pourcentage bien élevé.
Le deuxième "groupe" qui me semble n’avoir guère quelque chose en commun avec ce que je connais de la capitale (à part faire plein de saleté en laissant traîner les emballages de pizza, leurs paquets à cigarettes, leurs bouteilles…), ce sont les jeunes. «L’agressivité des uns, c’est la politesse des autres», on pourrait presque dire. Jamais des provocations, des sales mots ou sales blagues ou des menaces. Par contre, me dire bonjour semble tout naturel pour eux; de ce point de vue, ils m’apparaissent même plus polis que beaucoup d'adultes. Souvent, ils viennent à proximité de mon squat, mais normalement restent assez loin afin de ne pas me déranger; s’ils mettent la musique, c’est presque toujours tellement bas que cela ne gêne en aucune manière. Quelle différence avec les foyers de la Caritas et de Streetwork! Vivant dans un pays caractérisé par une période de pluie durant de janvier à décembre, il arrive fréquemment qu’ils ont recours à mon squat, un assez grand emplacement à l’abri des averses. Ils y viennent (malheureusement sans enlever leurs saletés), mais restent à l’autre bout de la pièce, sans approcher mon nid et surtout sans toucher à mes affaires. Il y en a même qui, avant d’entrer me demandent la permission ou me remercient pour mon hospitalité en partant. Cela fait maintenant quelques 15 mois que j’habite ici et, bien que souvent absent durant toute le journée et laissant tout ce que j’ai sur place, il n’y pas eu la moindre chose qui m’a été volée! Plus important encore que la tranquillité, dans cette idylle rurale j’ai trouvé un petit coin où je ne dois pas avoir peur, où je peux me sentir en toute sécurité. Et après tous les vols et agressions que j’ai connus dans les centres sociaux, cela vaut de l’or!
L’exception fait la règle, dit le proverbe et la fille à la veste de cette couleur jaune que j’aime bien personnellement et ses copains sont un vrai fléau. Ils passent plusieurs fois par semaine, souvent emmenant leur bouteille de vodka, font plus de saleté que des cochons et leur hurlements chassent mes voisins, les écureuils dans les plus hauts sommets des arbres. Mais le pire c’est leur musique, plus forte que dans une disco, insupportable boum-boum, même si je suis dans ma meilleure forme. Une seule solution: prendre le laptop et une couverture et m’enfuir, me mettre sur un banc à distance et attendre qu’ils rentrent à l’école pour les cours de l’après-midi. Je me suis souvent demandé en quoi ce groupe, qui ne semble jamais avoir entendu parlé du mot "respect" diffère des autres jeunes ici. Ce serait bien intéressant de savoir plus sur leur arrière-fond socio-culturel, la situation financière et l’emploi de leurs parents, etc. De telles gens font prévoir un futur tout autre que rose. Non seulement qu'eux-mêmes vont finir par transformer mon idylle en enfer, mais, ils ont des imitateurs, d'autres jeunes qui se disent que si ceux-là ont le droit de faire du vacarme et de la saleté, alors eux ils l'auraient aussi. Mes quelques mètres carrés de tranquillité et de sécurité deviendront de plus en plus une illusion impossible de tourner en réalité dans ce pays. Mais l'espoir n'est pas perdu, comme le montre une autre expérience: un jeune, en train de fumer avec un copain dans mon château, remarqua la bande de la fille avec la veste jaune et lui cria: «Mais baisse donc ta musique! Un peu de respect quand- même!»
Mauvaise expérience hebdomadaire ainsi, mais largement compensé par ce qui est "la normale" ici et puis, le souvenir de cette histoire, entièrement irréaliste pour ce pays, que j’ai vécue l’été passé. Comme à beaucoup d’endroits au nord, il y a aussi ici à proximité un camping et durant les mois de juin à août, il y a plein de touristes, en grande majorité des néerlandais. J’avais un peu peur que cela bouleverserait ma vie paisible, m’imaginant que des bandes de jeunes faisant la fête avec plein d’alcool et autres stimulants traîneraient autour de moi tous les jours et finiraient par me chasser de mon château. Ils sont venus, parfois réellement ivres et apportant leur musique, mais juste un petit mot, juste leur expliquer que je voudrais être tranquille et, acceptant sans problème de 'devoir' respecter mon chez-moi, ils partaient plus loin. Eux contents, moi content; pourquoi il est devenu si rare que les choses se passent de cette manière civilisée et en respect mutuel? Mais, cette expérience unique, en quelque sorte une "matérialisation de la notion abstraite de respect" dont je voulais parler, se passait le jour où les gens du camping organisaient leur grande randonnée nocturne avec des jeux dont le principal consistait à se peindre le visage en zombie ou similaire et d’effrayer les gens. Ils m’ont avaient prévenu le jour avant en me disant qu’ils espéraient de ne pas trop me déranger. J’étais en ville toute la journée et en revenant je rencontrais quelques-uns de ces 'monstres effrayants' qui cherchaient leur proie. Et puis, arrivant à proximité de mon squat, je ne pouvais pas croire mes yeux : des banderoles, comme l’utilisent la commune ou les ouvriers de chantier pour marquer des zones interdites au public, barraient tous les chemins aboutissant directement ou indirectement à ma demeure! «Zone réservée à accès interdit, ayez s’il-vous-plaît le respect de ne pas déranger!» Wow!
allu, janvier 2018