La vie SDF au Luxembourg

Est-ce que les sans-abri doivent se méfier de ceux qui disent vouloir les aider?

Faire confiance, mais se rendre compte de risquer être trahi
Quand je suis venu ici, il y a quatre ans et demi, j'étais émerveillé. Dans cette petite ville à l'est du pays, tout semblait être le contraire de la capitale, que j'avais fuie. Les gens avaient l'air tout gentils, semblaient pouvoir accepter des marginaux comme moi, avoir des sentiments humains, comme c'était le cas autrefois. Tout le monde semblait se parler, les jeunes semblaient polis et sans toute cette agressivité, que j'avais vécue à Luxembourg-ville et les portugais ne semblaient rien avoir en commun avec ces criards, se promenant en BMW, la musique mis à fond, qu'on rencontre à d'autres endroits. Il y avait cette boulangerie, où je recevais chaque jour un grand café pour le prix d'un petit et où je chargeais mon laptop et en mars 2018, j'ai publié cet article, qui laisserait croire, qu'ici la compassion, la solidarité et le partage font encore partie intégrale de la vie de tous les jours. Hélas, je me suis entièrement trompé. Et les expériences étaient tellement douloureuses, qu'il est difficile de ne pas arriver à la conclusion, que les sans-abri doivent se méfier de tous ceux, qui disent vouloir les aider et, s'ils n'apprennent pas à ne pas avoir confiance en ces gens, finissent toujours par souffrir, après avoir été abandonnés et trahis.
En fait, la réalité est un peu la même comme dans le reste du pays. Peut-être pas cette relation de voisinage anonyme comme en ville, mais très loin que tout le monde parle à tout le monde. Un couple, qui s'est installé ici, il y a 40 ans, m'a confié, que même aujourd'hui, ils ne sont pas encore entièrement acceptés par les locaux. Des portugais bruyants, il y en a aussi, au moins deux cafés, où des gens plus ou moins bourrés gueulent tous les soirs et weekends, de sorte qu'on peut encore les entendre 5 rues plus loin. Et les jeunes, et bien, il y a plein à lire concernant mes expériences avec eux sur ce site. Des gens avec plein de préjugés, j'en rencontre tous les jours, devant me laisser appeler sale merde des vieux messieurs, à qui je n'ai ni fait de mal, ni pris un seul sou et qui ne savent absolument rien de moi et de ma vie. De certains points de vue, c'est nettement pire ici qu'ailleurs. La fausseté est une maladie nationale comme la jalousie, mais si l'on voudrait en faire une étude, je pense qu'E. serait l'endroit idéal pour le faire. On peut alors se demander, comment je pouvais avoir durant tout un temps cette impression toute erronée, même appelant E. ma deuxième ville préférée au monde. Je pense, qu'il y a plusieurs raisons. D'abord, en dépit de mes expériences, mon obstination de continuer à croire à Saint Nicolas, de rechercher les choses positives et de régulièrement en voir, où il n'y en a pas. Ensuite, j'ai rencontré plein de gens bien, en venant ici; sachant maintenant qu'il ne s'agit pas des gens typiques d'ici, mais des exceptions à la règle. Enfin, les choses ont changé; les bouleversements, que connaît notre société, l'immigration de ces jeunes parasites et criminels, le Covid-19 et ses conséquences, de plus en plus de gens de plus en plus pauvres ... beaucoup de gens ont perdu toute confiance dans le futur, sont devenus amers et, typique pour l'espèce humaine, cela change leur comportement vis-à-vis des autres et en premier lieu vis-à-vis de ceux, qui sont différents.
J'étais bien ému, quand en hiver 2017/18, monsieur K. m'a offert une chambre dans son hôtel. Je n'en ai profité que durant 4 jours, mais ce geste généreux était quelque chose à quoi je ne m'aurait jamais attendu dans ce pays. 2 ans plus tard, changement de direction de 180 degrés. C'était durant le temps, où cette table ronde de vieux (pour moi-même, je les appelais les «vieux nazis d'E.», car leurs discussions n'étaient souvent rien d'autre que des propos racistes et discriminatoires) sur la terrasse de la boulangerie, où je prenais presque tous les jours mon café en travaillant sur mon ordinateur, commençaient à rouspéter et à murmurer des insultes, quand je m'y installais, que monsieur K. a commencé avec sa «croisade contre moi». Des sales mots et phrases lancés dans ma direction, chaque fois que lui et ses copains venaient jouer à la pétanque dans le parc, des insultes contre ceux qui devraient avoir honte d'aider quelque chose comme moi, des menaces et un jour cette phrase, dont j'aimerais bien savoir, ce qu'elle signifie vraiment: «Je te jure que tu ne vas pas survivre cet été ici!» Les «vieux nazis» avaient-ils décidé de nettoyer E. de ceux, qui ne leur convenaient pas? Ou est-ce que son agressivité à mon encontre n'était autre chose que son propre impuissance devant le fait, que sa femme buvait et ne pouvait pas laisser de coucher dans des lits étrangers? Plutôt pensant que c'est cette deuxième hypothèse, qui est la bonne et, si quelques 10 jours après, je fus agressé par deux arabes, ce n'était très probablement que le simple hasard.
Bizarre quand-même, que quelques semaines après, une serveuse de la boulangerie Z. me faisait savoir, que son patron lui avait dit de me dire, que les gens se sentiraient dérangés, quand je me mettais avec mon laptop sur la terrasse et que je ne devrais venir qu'après 17h, quand il n'y a plus de clients. «Vous êtes un client comme les autres», la jeune serveuse allemande m'avait toujours dit. Je ne lui avais jamais cru; je connais les gens d'ici, leurs préjugés, leur jalousie, leur haine. Ce qui n'empêche pas que j'étais un client, un bon client même, bien-sûr pas comparable à ceux, qui se voient trop «ariens» pour partager une terrasse avec un clochard (et le fait que j'étais la plupart de temps de bonne humeur, tout en travaillant avec mon laptop sur des choses, dont ils ne comprenaient rien, était une raison supplémentaire pour me détester) et qui y mangeaient des petits gâteaux de luxe tous les jours, mais j'y dépensais quelque 25€ chaque semaine et cela n'aurait donc aucunement être approprié de me reprocher, de m'y mettre, serait profiter sans rien consommer. En fait, c'était la réaction des autres clients, qu'ils mentionnaient comme raison principale. La boulangerie est la propriété privée de M. Z., donc il a le droit d'y autoriser et d'y refuser la présence à qui il veut. Enfin, je pense. D'ailleurs pas sûr, que c'était le patron lui-même, qui a pris la décision. «Je dirais, que c'est sa femme, qui est derrière cela», une amie m'a dit, «elle a de ces allures». Personnellement, je pense plutôt à son père. Il m'avait toujours paru comme l'un de ces vieux d'E. typiques et il était souvent assis avec ceux, qui ont réussi à me faire chasser. C'est d'ailleurs ce «faire chasser» qui me pose le plus de problèmes dans cette histoire. Des gens, qui n'ont apparemment rien contre d'autres gens, et quand-même se dressent contre eux, parce que des tiers (et c'est presque toujours le cas, que ces tiers font partie de ceux, qui prêchent la haine) les y incitent. La deuxième chose, que je peux pas approuver, c'est ce comportement de non-respect inacceptable envers son personnel: Bien que me voyant tous les jours, demander à la serveuse de me faire passer le message.
Ces deux évènements, se passant à un intervalle de quelques semaines, n'étaient pas les premières expériences négatives avec des commerces, dont le patron m'avait donné l'impression d'être quelqu'un, qui ne court pas avec le troupeau de moutons, mais quelqu'un qui voulait vraiment m'aider. L'hiver, où M. K. m'avait offert la chambre, le patron du snack de hamburgers T. m'avait offert de manger chez lui, tous les jours, si j'en aurais envie (en fait, il ne m'avait pas fait cette proposition à moi, mais écrit sur Facebook, que les gens devraient m'en informer - bizarre, non?). En dépit de ma naïveté sans limites, la réalité m'a montré, qu'une certaine prudence est de rigueur, si quelqu'un nous fait une telle offre. Je n'avais pris recours à l'accès Internet et la possibilité de recharge du laptop tous les jours chez Z. qu'après les avoir connus depuis quelques mois et ayant été convaincu, que leur aide n'avait d'autre but qu'aider et qu'ils le feraient de bon cœur. J'avais également hésité avant d'accepter de passer quelques nuits à l'hôtel. Et pour le T., j'étais loin d'être persuadé, que ce serait une bonne idée. Les deux jeunes, qui y travaillaient, étaient super sympas; nous discutions de tout et de rien, rigolions beaucoup ensemble; ils me gâtaient, encore et encore me demandant si je voudrais encore quelque chose à manger ou à boire, si je ne voudrais rien pour prendre avec chez moi. Et puis, il y avait cette femme (je pense que c'est la sœur du patron), qui, chaque fois que nous nous rencontrions, me demandait, si je passerait encore le soir, qui me demandait encore plus souvent que les serveurs, si je ne voudrais vraiment plus rien. En plus, elle semblait réellement s'intéresser aux articles sociaux sur mon site. Garder la distance est souvent interprété comme de la prétention ou de l'arrogance. Mais, cela peut être aussi un moyen de protection de soi-même assez efficace. Cependant, faisant toujours la même erreur de commencer à faire confiance aux gens, m'imaginer que mon petit monde naïf, où finalement tout le monde a un bon cœur, existe dans la réalité, j'ai commencé à y aller plusieurs fois par semaine, de rester 2 ou 3 heures pour travailler sur mon site Web. Jusqu'au jour, où le patron m'a fait savoir (comme chez Z. par l'intermédiaire d'un serveur), qu'il m'aurait offert de venir manger un hamburger de temps en temps, mais qu'il ne serait pas question que j'utiliserais le T. pour squatter. Fausseté, mensonge, insulte! Si je passais beaucoup de temps chez eux, c'était parce qu'eux (sa sœur et le personnel), m'avaient donné l'impression, que je n'y dérangerais pas, que bien au contraire, ils seraient contents de me donner cette opportunité (combien de fois, ils m'avaient demandé «Tu pars déjà?»). Z. au moins avait le minimum de respect d'être honnête concernant la raison de sa décision. Pour le reste, est-ce que je dois vraiment me plaindre? Je connais mes compatriotes, j'ai fait encore et encore les mêmes expériences. Cet hiver passé dans le hall de sport chez les prêtres du Sacré-Cœur à Clairefontaine, cela avait été exactement la même situation: Encore et encore me dire de pouvoir profiter des possibilités, que mon séjour me donnaient, pour finalement faire circuler des sales mensonges du genre, que je serais tout le temps rentré sans permission dans la cuisine et que je m'y serait servi de soupe sans demander, alors que c'était le père supérieur, qui m'y avait invité, chaque fois que nous nous croisions.
Le séjour à E., où en dépit de ces expériences négatives, j'ai passé deux années en paix, tournait de plus en plus au cauchemar. D'abord, il y a avait les étudiants. Cela paraissait un peu comme si la commune aurait loué mon squat au lycée, afin de donner aux jeunes un endroit à l'abri de la pluie et du vent, pour pouvoir fumer leurs joints en tranquillité. Un petit groupe dans la pause de midi au début, ce groupe qui s'agrandissait, d'autres groupes par la suite et à certain moment «my home is my castle» n'était plus guère autre chose qu'un lieu de rencontre pour fumer, acheter ou vendre du cannabis. À part la nuit et le weekend - heureusement pour moi! Mais, il y avait chose beaucoup plus grave et je suis quasi certain, que cela n'a rien à faire avec les étudiants, ni avec les jeunes du village, ni avec des voleurs arabes, ni avec des touristes, qui voulaient s'amuser. Je pense plutôt que c'est un exemple, comment une haine non motivée et entièrement irrationnelle peut pousser des gens entièrement «normaux» à des actes, dont ils savent, qu'ils peuvent sérieusement causer du tort à autrui. La disparition de mon sac de couchage en plein hiver: cela aurait pu se terminer très mal pour moi. Et puis, le jour où il y avait ce temps extrême avec la neige fondante, une bouteille d'eau vidée dans mon autre sac de couchage (qui avait été sauvé par hasard du vol). Dans mes yeux, pervers et malade! Mais, une nouvelle fois, avec ce qui s'était passé avant, est-ce que je n'aurais pas dû plus me méfier, m'attendre à de telles choses et prendre des précautions?
Comme je ne saurais passer les journées, sans avoir mon occupation, je ne pourrais passer les nuits, sans avoir ma petite place à dormir, une place, où je suis tranquille et me sens en sécurité. C'est quelqu'un qui travaillait ici, qui m'avait montré mon ex-château dans le parc et je suppose que c'est grâce à des gens d'ici, que la commune m'y a laissé vivre durant 4 années. Les ouvriers communaux étaient toujours très gentils avec moi, quand il y avait une manifestation dans mon squat, je pouvais mettre mes affaires dans leurs locaux. Durant tout un temps, le bourgmestre me saluait, quand nous nous croisions et à la commune, on m'a assuré une fois, que ma présence dans ce site touristique ne constituerait aucun problème pour eux. Il y avait aussi une période, où des gens locaux écrivaient sur Facebook, que les lieux n'auraient jamais été aussi propres, qu'il n'y aurait plus personne qui salirait les murs avec des graffitis. Tout changeait, quand cet ivrogne de Dudelange apparaissait, venant le soir, bourré comme un trou, il prenait mes affaires pour se coucher dedans et le matin, quand il partait, le sol était couvert de mégots, paquets de cigarettes, sachets et bouteilles. Je dormais plusieurs jours au centre-ville durant ce temps; avec le bruit, que font ces gens en dormant, impossible de fermer un œil. Après quelques jours, il disparût comme il avait apparu, mais les saletés, que lui, il avait faites, étaient pour tous ceux, qui me haïssent, un bon prétexte pour se débarrasser de moi. Que le conseil échevinal aurait décidé, que je devrais partir, 2 agents communaux m'ont annoncé. J'aurais jusqu'à la fin de la semaine, après la police interviendrait. Et d'ajouter «Avec de plus en plus de saletés sur les lieux...» D'abord, ce ne fût pas le conseil échevinal, qui avait décidé, mais le bourgmestre à lui seul. Puis, tout le monde à E. savait, que ce n'était pas moi, qui était responsable des saletés; d'ailleurs, je m'avais plaint auprès de la police, que ce monsieur sans aucun respect devant les autres et leurs affaires s'était introduit chez moi. Peut-être, le bourgmestre avait changé son opinion me concernant, peut-être avait il reçu de la pression de la part de gens comme M. K. Ne plus m'autoriser à rester là est son droit, mais argumenter que je dérangerais les gens et ferais peur aux touristes, après m'avoir laissé y habiter durant presque 4 ans? Et prétendre, que ce serait à cause de moi et de ma présence, qu'il y aurait toutes ces saletés et qu'il y aurait d'autres sans-abri qui y apparaissaient? Les fumeurs de cannabis faisaient plein de saletés tous les jours, alors que moi, je ramassais chaque mégot. Et personne ne souffrait plus que moi de ces «marginaux», qui passaient de temps en temps une nuit sur les lieux. Fausseté et mensonges, une nouvelle fois!
Quand un copain m'a dit l'autre jour, que dans la fenêtre d'un kebab, il aurait vu une affiche, que les SDF y pourraient manger gratuitement, je lui ai répondu, que croire à de telles propos finirait toujours mal. Mais, ma curiosité était trop forte: Pourquoi, dans ce monde, où chacun est le diable de son proche, quelqu'un agit de cette manière? Le kebab appartient à des kurdes et ils m'expliquaient que partager faisait partie de leur culture, que chez eux, si quelqu'un sonne à la porte, parce qu'il n'a pas d'endroit, où dormir, ils lui offriraient tout naturellement leur hospitalité. Cette mentalité, opposée à 180 degrés de l'attitude des gens d'ici, ne me surprenait pas vraiment. J'avais fait des expériences similaires dans les 3 autres kebabs au village (propriétaires turc resp. tunisien), comme dans l'épicerie, tenue par une famille d'origine bosniaque. Les immigrants, venant de ces pays, que nous avons l'habitude de considérer comme sous-développés, voire primitifs, semblent être largement en avance sur nous: En dépit de ce qui apporte la vie moderne, ils ont réussi à rester de vrais êtres humains! Un fait aussi, que parmi ceux, qui me soutiennent, la majorité ne sont pas des luxembourgeois, du moins d'origine et s'ils le sont, ne sont pas nés dans cette ville, qui m'avait tellement impressionnée, quand j'ai débarqué ici. Avec des exceptions, bien-sûr, et, si E. m'a fait comprendre, pourquoi beaucoup d'étrangers, qui viennent s'installer au Grand-duché, ne deviennent jamais chauds avec les luxembourgeois, je sais (par conviction, tout comme par expérience) qu'il y a des moutons noirs (c'est-à-dire des moutons, qui courent dans la direction opposée du troupeau) dans toutes les ethnies, nationalités et classes sociales. Et, ces moutons noirs, ils existeront toujours, quelle que sera la dégénérescence de la société. Se méfier de ceux, qui disent vouloir nous aider, est donc bien approprié, surtout s'il s'agit d'institutions ou de commerces (par opposition à des individus) et probablement plus, s'il s'agit de gens d'ici (par opposition aux immigrés venant de pays, où la solidarité et le partage existent encore réellement). Mais, en dépit de tout cela, il n'y a aucune raison de désespérer, de nous tenir à l'écart de tout le monde, de ne pas continuer à croire dans la bonté dans les hommes, de ne pas accepter, ce que nous offrent ceux, qui le font par vraie conviction et sans arrière-pensées, du fond de leur cœur ou par le simple plaisir d'aider les autres!
allu, mars 2021