La vie SDF au Luxembourg

Il faudrait leur serrer une pelle et une brosse dans les mains!


Indondations 2021: Un grand lac au plein centre de la ville d'Echternach
Indondations 2021: Une voiture submergée jusqu'au toit, montrant l'ampleur de la catastrophe

Vivant sans TV ni radio et pas sorti de chez moi à cause de la pluie le jour précédent, j'étais tout surpris de voir que la rue du Pont avait été transformée en une rivière, progressant sans arrêt vers le croisement avec la rue de la Montagne. Quand j'y suis passé vers 10h, la route était barrée, mais les voitures arrivaient encore partiellement à passer. Moins d'une heure après, ce monstre sans forme définie, avide de s'étendre, d'occuper tout espace, où il y a moyen de s'y introduire, et qui détruit tout ce qu'il rencontre sur son chemin, avait tellement gagné en hauteur, que la rue était devenue entièrement inaccessible (photo à gauche). Ni à pieds, ni en voiture, pas possible d'entrer dans la zone concernée et, beaucoup plus grave, pas possible d'en sortir. Le monstre avait aussi considérablement augmenté en longueur et en largeur, atteignant la pharmacie au coin de la place du Marché. Combien cette force sans limites, qu'est l'eau, peut monter en un rien de temps, je l'ai vu un peu plus tard, jetant un coup d’œil de mon squat, vers les ruelles et places plus bas: Une voiture, submergée jusqu'au toit (photo à droite). Si peut-être, avant, je n'avais pas encore compris l'ampleur de la catastrophe, maintenant je savais que pour plein de gens, les jours à venir ne seraient autre chose que de la misère et encore de la misère.

Il est évident que toutes les caves étaient inondées, mais aussi beaucoup de locaux au rez-de-chaussée étaient dévastés. Je pense que la plupart du matériel (on voyait notamment des douzaines de frigos foutus le long de la route, les jours après), déposé dans les caves y est passé. Pour les magasins, cafés, restos et habitations, au moins un certain nombre de gens ont réussi à sauver les affaires à temps. Ce qui ne veut pas dire, qu'il n 'y a pas eu d'important dégâts. Les planchers foutus et devant être entièrement remplacés, mais probablement aussi les murs et plein d'objets trop lourds à évacuer d'urgence. D'abord les pertes résultant des contre-mesures Covid-19, maintenant l'inondation. «S'il y a encore la moindre des choses qui tourne mal, ce sera la faillite!», un copain, travaillant durant son temps libre dans un kebab, m'a dit. L'électricité coupé, bien-sûr (le seul inconvénient que j'ai eu moi-même); ceci compliquait les choses, car il n'était pas possible de mettre en route les pompes. Pompiers, policiers et plein de volontaires, s'engageaient sans fin. Mais, l'eau est une force naturelle beaucoup plus puissante que le feu et il n'est guère possible de réellement la combattre. Beaucoup de résidents se tenaient devant leur maison, le regard fixé sur l'une des multiples têtes du monstre, qui rampait dans la rue, pas loin d'eux, ne pouvant pas vraiment faire autre chose qu'attendre et espérer. Pas mal de gens n'arrivaient plus à sortir de chez eux; les pompiers ont dû les évacuer avec des bateaux gonflables. Pas mal de gens aussi, qui ne pouvaient plus rester dans leurs logements dévastés; ceux, qui n'ont pas trouvé refuge chez leur famille ou des amis, ont été transférés dans des chambres d'hôtel, perquisitionnées à cet effet.

Vendredi (le lendemain), je suis passé en bus de Wasserbillig à Echternach. Le scénario, qui se présentait dans les villages le long de la Sûre, avait quelque chose d'apocalyptique; on aurait pu croire qu'on était en état de guerre et que c'était après une attaque que les gens essayaient de se débarrasser de ce que les bombes avaient cassé. Et puis, la boue, des saletés tout genre, l'humidité... Dans toute cette misère, il me semblait quand même qu'il y avait quelque chose de très positif. J'avais la forte impression qu'il y avait plein de monde qui participait aux travaux de nettoyage et de remise en ordre, les uns aidant les autres, une solidarité réelle, chose qu'au Grand-duché, on n'a pas l'habitude de voir. D'ailleurs, L'essentiel a publié un article à ce sujet, le jour-même, où j'ai écrit ce texte.

Si j'ai bien compris, le gouvernement a réagi très vite et déclaré l'état d'urgence (ainsi que débloqué 50 millions d'euros d'aide directe), action qui devrait donner le droit aux victimes de la catastrophe de faire appel aux assurances pour payer les dégâts. Espérons, que ces dernières, durant les mois à venir, oublient les palais en marbre, qu'ils construisent grâce à l'argent reçu de leurs clients et agissent sans perdre de temps, car pour un bon nombre de commerces, cette perte de temps pourrait s'avérer fatale. Les 50 millions et les belles paroles des politiciens n'ont cependant pas convaincu la majorité de ceux, qui en une ou deux journées ont perdu les fruits de mois, voire d'années de travail. «Il faudrait leur serrer une pelle et une brosse dans les mains et les forcer à aider au nettoyage!», une femme s'est indignée. Pour elle, c'est la destruction des zones vertes, où l'eau pourrait se répandre, par la construction irréfléchie d'habitations et de routes, qui serait la cause de telles catastrophes. «En plus», m'a-t-elle dit, «ils utilisent des tuyaux beaucoup trop minces, mais pourquoi ils feraient leur travail comme il faut, comme ce ne sont que les pauvres, qui vont vivre à de tels endroits!» Et ceux-là sont juste bons pour remplir les poches des riches et payer des impôts, j'ai pensé.

Les grosses voitures de luxe de ces seigneurs, qui nous gouvernent, devant le Cercle
Tandis qu'à Echternach, les gens luttenent contre l'inondation, la high society de Luxembourg-City se régale au champagne

La bonne femme a eu sans aucun doute raison. À la fois que les inondations sont la faute de gens, qui ne pensent qu'au propre profit et que ceux qui ont l'argent et le pouvoir n'ont pas à se soucier plus des catastrophes naturelles que de l'insécurité due à l'augmentation de la criminalité. Quelle différence entre ce dont j'étais témoin à Echternach et ce que j'ai vu à Luxembourg-ville! Ces gens importants, qui nous gouvernent, avaient eu une réunion au Cercle et dans un espace, protégé par des banderoles et la police, étaient garées leurs voitures de luxe (photo à gauche), signe incontestable des privilèges, qu'ont ces gens dans ce pays (et la plupart ailleurs). Je me suis demandé combien de gens d'Echternach, touchés par l'inondation on aurait pu redonner l'espoir avec le salaire annuel de l'un seul de ces seigneurs, qui lors de leurs meetings, se laissent servir des repas exquis, payés par nos impôts. Si on fait partie de ce club, inaccessible aux petites gens, on peut tranquillement rayer le mot solidarité de son dictionnaire privé.

Le contraste entre ceux, qui actuellement vivent un cauchemar de désespoir et ceux, pour qui mener la belle vie (souvent au détriment des autres) est l'une des occupations favorites, se présentait encore plus nettement devant la boulangerie de luxe de l'autre côté de la rue (photo à droite). La high-society de Luxembourg-City s'était donnée rendez-vous pour boire du champagne, occasion pour les dames de montrer leurs chapeaux gigantesques, qui probablement coûtent une fortune et pour les messieurs de se passer les derniers tuyaux comment faire pour ne pas payer les impôts, qu'ils devraient payer, sans courir de risque d'être poursuivi par la justice. Je suppose que ces gens n'ont pas besoin d'une raison particulière pour faire la fête. Mais, peut-être, ils en avaient une ce jour-là. La taille du gâteau reste sensiblement la même et si toutes ces pauvres gens ont perdu tant de choses, il faut bien que quelqu'un d'autre en a gagné autant.

Mais, les riches ne sont pas les seuls privilégiés au Grand-duché. D'abord, il y a ces immigrés, qui viennent ici pour se laisser entretenir par notre système social. L'un de ces messieurs de l'Europe de l'Est, que j'ai vu régulièrement chez Streetwork Uewerstad depuis des années et qui, comme la plupart d'entre eux, passe ces journées au Luxembourg à se soûler, ne montrait aucune gêne de remplir son sac avec les cendriers, qui étaient placés sur les tables d'une terrasse au centre-ville. Bien au contraire, quand la serveuse essayait de l'en empêcher, il se moquait d'elle et lui lança: «Mais appelle donc la police!» Pour des gens qui n'ont du respect devant ni rien, ni personne, le Luxembourg est un paradis. Et dans un pays, dont le système social voit son devoir à être là, entretenir à vie et protéger des parasites, est-ce qu'il faut vraiment s'étonner que le nombre de familles qui, en dépit de travailler dur tous les jours, ont de moins en moins pour vivre, voire glissent en-dessous le seuil de la pauvreté?

Il ne faut pas forcément être immigré pour avoir la belle vie au Luxembourg. Dans un système, où plus qu'on profite, plus on a de droits, les paresseux et profiteurs résidents, quelle que soit leur nationalité, peuvent eux-aussi s'en foutre de la solidarité avec les victimes de l'inondation. Je ne sais pas vraiment, comment ils font, mais je pense que complètement rayer des termes comme honnêteté, responsabilité, égards pour les autres, respect... de son vocabulaire, est non seulement une condition, mais aussi un bon point de départ pour réussir sa vie dans ce pays. Alors que les gens qui travaillent honnêtement, luttaient désespérément contre l'eau, monsieur RMG (on l'a rebaptisé REVIS, mais pour les vrais parasites, cela ne semble rien avoir changé) était assis sur un banc sur la place de Marché. Grâce à deux télécommandes (et oui, deux en même temps), il s'amusait à faire circuler deux camions téléguidés. Je n'ai jamais compris pourquoi ceux, qui travaillent, sont forcés de payer des impôts pour financer la belle vie de ceux, qui vivent sur le dos de la société durant toute leur vie. «Il faudrait leur serrer une pelle et une brosse dans les mains!», la femme avait dit des politiciens. Que quelqu'un me fournisse un seul argument convaincant, pourquoi on ne devrait pas le faire aussi à monsieur le voleur de cendriers et monsieur le chauffeur de camions téléguidés!

allu, juillet 2021